Dans cet article, je me suis intéressée aux cartes postales qui nous font entrer dans l’intimité des couples et appréhender la vie affective mais pas seulement. Des cartes qui parlent essentiellement d’amour. Ce sont des gens ordinaires qui nous montrent que l’amour et l’écriture ne sont pas l’apanage des plus grands érudits.
Quelle que soit la forme billets, lettres ou cartes postales les couples s’en échangent pour diverses occasions tout au long de l’année. Les fêtes et les anniversaires ne sont pas oubliés. Cette correspondance nous permet de reconstituer les différentes étapes de la relation et les premières années de mariage des jeunes. Les premières rencontres galantes ont eu lieu, les jeunes gens décident de se voir plus souvent (je vous invite à lire mon article sur « les rencontres amoureuses »).
La fréquentation d’un jeune couple
Ma tante par alliance m’a permis d’étudier la correspondance de sa grand-mère paternelle, Blanche Blanquet (je lui ai dédié un petit passage dans mon article sur les rencontres amoureuses). De 1905 à 1907, celle-ci reçoit de nombreuses cartes postales de son petit ami Robert. Elle est alors âgée de 17 ans. Tous deux vivent en Gironde. Blanche travaille comme apprentie couturière chez sa belle-sœur. Elle fait 6 km à pied pour se rendre sur les lieux de son travail. Ces cartes nous permettent d’en savoir plus sur leur relation. Deux individus anonymes et ordinaires sont ainsi mis en avant grâce à la conservation de sa petite fille.
Les toutes premières lettres qu’elle reçoit sont des lettres codées. La discrétion est de rigueur surtout qu’elles n’ont pas été envoyées dans des enveloppes. Le facteur ou n’importe quelle personne auraient pu les lire. Le code reste facile à déchiffrer. Les lettres de l’alphabet correspondent dans l’ordre aux chiffres de 1 à 26 (A = 1, B = 2…). Cela nous renverrait presque au challenge AZ !
Les lettres codées servent à annoncer la date et le lieu des rendez-vous secrets : près d’un pont, sur un chemin. Ils veulent échapper aux regards indiscrets lors de leur promenade. Robert lui dit « tâche de te trouver sur le pont, il te faudra passer à 4 heures ½ devant le café ».
Puis après les rendez-vous galants furtifs vient le temps des rencontres régulières. Ils officialisent ainsi leur fréquentation. Chaque semaine, ils se retrouvent le jeudi « avant deux heures » et le dimanche après-midi ou le soir.
Mais l’être aimé vient rapidement à manquer. Cette absence pousse Robert à rendre visite très régulièrement à sa Blanchette : « Je pense te voir mercredi à Castillon », « Je passerai demain mardi… ».
En train ou à bicyclette, Robert ne manque jamais de lui rendre visite. Le galant lui propose ainsi « demain dimanche, je vais à Libourne par le train de 9h ½. Je m’en reviendrais après-midi en bicyclette s’il ne fait pas mauvais temps ».
Les deux jeunes gens organisent des sorties variées. Le bal reste la sortie qu’ils préfèrent. Ils aiment danser le quadrille. Il s’agit de la danse à la mode du début du XIXe siècle jusqu’à la Première Guerre Mondiale. Cette contredanse est formée d’une suite de cinq figures : le pantalon, l’été, la poule, la pastourelle et la finale. Les couples se répartissent en une ou plusieurs double lignes. Il y a des jeux de passage d’un cavalier à l’autre, des saluts ou révérences. Cette danse est élégante. Comme il est difficile d’expliquer les différentes figures, je vous invite à consulter ce site : http://www.carnetdebals.com/danse-quadrille-francais.html Il ne vous reste plus qu’à imaginer les dames et leurs longues robes. La musique et la danse réunissent de nombreux couples. Nos tourtereaux affectionnent les promenades à pied. Les rendez-vous se font également au café. Ils assistent ensemble à la messe de Castillon ou de St-Pey. Ils se rendent à la foire de la Saint-Martin à Libourne. C’est une foire agricole, commerciale et foraine qui se déroule entre le 10 et le 12 novembre. Elle est célébrée dans de nombreuses villes. La loterie civracaise est un autre moment de retrouvailles. Ces sorties nous permettent de connaître les lieux de leur rendez-vous. Le jeune couple vivant dans une région viticole, ils se retrouvent également pour les vendanges.
Les balades se font dans un rayon proche. Le périmètre se concentre autour de Castillon, Civrac, Libourne, St Pey et Ruch. Blanche vit à Civrac-sur-Dordogne et Robert semble vivre du côté de St Pey. Libourne reste la sortie la plus éloignée située à 21 km de Civrac-sur-Dordogne. Les autres villes ou villages sont situés entre 8 à 2 km du lieu de résidence.
Robert choisit ses cartes avec beaucoup d’attention. Cette sélection n’est pas le fruit du hasard et n’a que pour unique objectif de séduire Blanche. Pour un flirt avec Blanche, il ferait n’importe quoi … !
Sur le recto d’une carte ces mots sont écrits « ces fleurs sont pour toi ». Sur une autre « ces fleurs choisies pour sa préférée ».
Ce sont souvent des hommes ou femmes, des amoureux qui sont représentés au recto des cartes. Des cartes qui sont dédiées à la correspondance amoureuse. Une fois, il lui a envoyé une carte représentant un port. Il s’en est tout de suite excusé car il était en présence de son père.
Il lui envoie des cartes pour diverses occasions, le 1er avril, son anniversaire… Il faut savoir que la Saint-Valentin est devenu une fête traditionnelle à partir du XIXe siècle, c’était l’occasion pour les jeunes amoureux d’échanger des billets doux ou des présents comme un bouquet de roses.
Ces cartes postales évoquent les sentiments qu’il ressent ainsi que ses attentes. Il se désigne tout d’abord comme étant son « meilleur ami », puis au fur et à mesure de leur fréquentation il devient son « petit-ami » et son « petit chéri ». Cela montre une évolution dans leur relation. Robert semble très amoureux, il lui exprime en fin de carte : « celui qui t’aime », « celui qui t’embrasse de cœur », « reçois mon meilleur baiser », « celui qui pense toujours à toi », « mes plus doux baisers sur tes lèvres roses ».
Tout est multiplié « mille baisers ». Les mots manquent tant il est difficile de trouver les mots pour dire à la personne combien on l’aime.
Robert exprime aussi son impatience de la retrouver. L’attente est toujours trop longue « tu sais huit jours c’est bien long, si tu avais été seule hier, je me serais arrêté pour te parler », « je trouve le temps bien long de ne pas te voir ».
D’autres sentiments variés sont aussi perceptibles comme la joie « je suis très content de ma soirée ».
On le sent boudeur « suivant ce que tu m’as dit hier lundi à Castillon. C’est fini, je ne te parle plus ». rassurez-vous cela n’a duré que le temps de l’écrire car à la fin il lui rajoute « A demain ».
Exaspération, moquerie apparaissent au travers de ses cartes. Un peu d’humour « tâche de bien dîner pour ne pas être en colère comme ça t’arrive quelquefois ».
Il essaye aussi de la faire culpabiliser « hier soir en pensant à ton engueulade, je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer et je n’ai pas pu dormir ». Il était bien triste face à cette grosse dispute. Cela montre qu’on est plus au tout début de leur fréquentation. Tout semble parfait puis viennent ensuite les premiers conflits.
En tout cas, il espère certaines choses comme le recto d’une des cartes le suggère « Arrêtons-nous, veux-tu, sous cet exquis ombrage. Dans ce hamac léger viens t’étendre un instant ». Mais ce sera une fréquentation chaste, peut-être avec quelques baisers. Il demeure très respectueux.
Mais malheureusement pour Robert cette cour n’aura servi à rien. La belle Blanche ne se mariera pas avec lui.
Des promis aux couples mariés
Les cartes de mon arrière-grand-tante Andrée Gabrielle épouse Bouffard datant de 1927 et celles de mon grand-père paternel datant de 1953 nous apportent d’autres renseignements.
Grâce à une carte que mon grand-père paternel a adressée à ma grand-mère, j’ai découvert le petit nom qu’il lui donnait « Janou ». Elle s’appelait Jeanne-Marie et se faisait appeler Jeannette (Janette). Les cartes postales sont des sources pour connaître les petits noms ou surnoms donnés à nos ancêtres.
Il est touchant de se plonger dans ces cartes. J’y ressens tout l’amour et l’impatience de mon grand-père qui avait hâte d’épouser ma grand-mère. Pour son anniversaire, le 4 décembre 1853, il lui déclare « ma future petite femme c’est de tout cœur que je te souhaite ce premier anniversaire et j’ai l’espoir de t’en souhaiter beaucoup d’autres ». Le mariage sera célébré le 27 février 1954.
Il lui assure son amour pour la vie.
Les cartes postales nous permettent d’entrevoir également l’histoire du sentiment parental. Une réalité affective du rôle de parents. En témoigne les sentiments authentiques de mon grand-père sur sa future paternité. De la tendresse pour un homme au fort caractère. Il se réjouit de l’arrivée prochaine « que l’année 1954 [leur] apporte un petit Bernard pour égayer [leur] foyer ».
Le lien maternel est également présent au travers de la correspondance d’Andrée Gabrielle. Son fils René, vous avez pu le découvrir dans l’article « j’arrive trop tôt ». Bébé prématuré, il a tout juste un an le 29 décembre 1927 quand sa mère écrit ces mots à son mari « j’ai été bien heureuse mardi de voir mon petit René, comme il marche bien mais il me tarde de revenir pour revoir ses petites manières et m’occuper de lui. Je vous trouve bien à dire tous deux […] sans oublier mon petit trésor ». L’amour maternel d’Andrée pour son fils est indéniable. Seul enfant du couple elle le chérira toute sa vie.
D’autres lettres pour un jeu amoureux
Dans mon article « Divorcer au siècle des Lumières » j’ai évoqué le fait que les lettres peuvent servir de preuves. Certaines lettres dont s’est servi Léonard Ducheyron pour faire inculper sa femme d’adultère sont des lettres fictives. Léonard et Anne Marie Elisabeth d’octobre 1772 jusqu’au 18 janvier 1773 s’inspirent du roman la Nouvelle-Héloïse pour s’échanger des courriers enflammés. Le roman relate l’histoire d’une passion amoureuse entre Julie d’Etanges, jeune noble et son précepteur Saint-Preux. Les parents de Julie découvrant la relation la contraignent à épouser un vieil ami de la famille Wolmar. Les missives envoyées sont un jeu auquel ce couple s’adonne ainsi que leur cercle d’amis. Membre de la noblesse Léonard et Elisabeth font partie d’un cercle étroit de la société littéraire créée par une amie du couple. Dans ce cercle tout le monde joue un rôle et porte le nom d’un des personnages. Anne Marie Elisabeth devient Julie d’Etanges, Saint-Preux sera un curé bordelais et son mari sera le fameux Wolmar. Ces correspondances ne sont qu’un jeu amoureux du XVIIIe siècle.
Les temps ont changé dorénavant les lettres ou cartes sont relayées au second plan. Les mots doux du XXIe siècle sont échangés au travers des SMS ou des mails. L’écrit s’est démocratisé. Pour autant l’amour reste tout aussi sincère.
Et vous, avez-vous trouvé des correspondances évoquant l’intimité des couples de votre généalogie ?
Pour finir, je vous propose ce petit jeu : décoder une carte envoyée à Blanche. Serez-vous les plus rapides à retranscrire le message ! ?
Edition d’Ophélie
Mais comme c'est indiscret ! 🤗